Chapitre XLIV
Comment Pantagruel feiſt ſes aprestz pour monter ſus mer. Et de l’herbe nõmée Pantagruelion.
Peu de iours après Pantagruel auoir prins cõngié du bon Gargantua, luy bien priãt pour le voyage de ſon filz, arriua au port de Thalaſſe pres Sammalo, acõpaigné de Panurge, Epiſtemon, frere Ian des entõmeures abbé de Theleme, & aultres de la noble maiſon, notãment de Xenomanes le grãd voyagier & trauerſeur des voyes perilleuſes, lequel eſtoit venu au mandemẽt de Panurge. Par ce qu’il tenoit ie ne ſçay quoy en arriere fief de la chaſtellenie de Salmiguondin. La arrivez, Pantagruel dreſſa equippage de nauires, a nombre de celles que Aiax de Salamine auoit iadis menées en cõuoy de Gregoys à Troie. Nauchiers, pilotz, heſpaliers, truſchemens, artiſans, gens de guerre, vivres, artillerie, munitiõs, robbes, deniers, & aultres hardes print & chargea, comme eſtoit beſoing pour lõg & hazardeux voyage. Entre aultres choſes ie veids qu’il feiſt charger grande foiſon de ſon herbe Pantagruelion, tant verde & crude, que confiƈte & præparée.
L’herbe Pantagruelion a racine petite, durette, rõdelette, finante en poinƈte obtuſe, blãche, a peu de fillamens, & ne profonde en terre plus d’une coubtée. De la racine procède vn tige vnicque, rond, ferulacée, verd au dehors, blãchiſſant au dedans: cõcave, comme le tige de Smyrniũ Olus atrũ, Febues, & Gentiane: ligneux, droiƈt, friable, crenelé quelque peu a forme de columnes legieremẽt ſtriées: plein de fibres, es quelles conſiſte toute la dignité de l’herbe, meſmement en la partie diƈte Meſa, comme moyene, & celle qui eſt diƈte Mylaſea. Haulteur d’icelluy cõmunement eſt de cinq a ſix pieds. Aulcunes foys excede la haulteur d’une lãce. Sçavoir eſt, quand il rencontre terrouoir doulx, vligineux, legier, humide ſans froydure: comme eſt Olone & celluy de Roſea pres Præneste en Sabinie, & que pluye ne luy deffault enuiron les Feries des peſcheurs, & Solſtice æſtiual. Et ſurpaſſe la haulteur des arbres, cõme vous diƈtez Dendromalache par l’authorité de Theophraſte: quoy que herbe ſoit par chaſcun an deperiſſante: nõ arbre en racine, tronc, caudice, & rameaux perdurãte. Et du tige ſortent gros & fors ramemux. Les feueilles a longues trois foys plus que larges, verdes tous iours: aſprettes, cõme l’ Orcanette: durettes, inciſées au tour cõme vne faulcille & comme la Betoine: finiſantes en poinƈtes de Sariſſe Macedonicque, & comme vne lãcette dont vſent les Chirurgiens. La figure d’icelle peu eſt differente des feueilles de Freſne & Aigremoine: & tant ſemblable a Eupatoire, que pluſieurs herbiers l’ayãt diƈte domeſticque, ont diƈt Eupatoire eſtre Pãtagruelion ſauluaginé. Et ſont par rancs en eguale diſtance eſparſes au tour du tige en rotõdité par nombre en chaſcun ordre ou de cinq, ou de sept. Tant la cherie nature, qu’elle l’a douée en ſes feueilles de ces deux nombres impars tant diuins & myſterieux. L’odeur d’icelles eſt fort, & peu plaiſant aux nez delicatz. La femence prouient vers le chef du tige, & peu au deſſoubs. Elle eſt numereuſe autant que d’herbe qui ſoit, ſphæricque, oblongue, rhomboïde, noire claire, & comme tannée, durette, couuerte de robbe fragile: delicieuſe a tous oyſeaulx canores, cõme Linottes, Chardriers, Alouettes, Serins, Tarins, & aultres. Mais eſtainƈt en l’homme la ſemence generatiue, qui en mangeroit beaucoup & ſouuent. Et quoy que iadis entre les Grecs d’icelle lon feiſt certaines eſpeces de fricaſſées, tartres, & beuignetz, les quelz ilz mangeoient apres ſoupper par friandiſe & pour trouuer le vin meilleur: ſi eſt ce qu’elle eſt de difficile concoƈtion, offenſe l’eſtomach, engendre mauvais ſang, & par ſon exceſsiue chaleur feriſt le cerueau, & rempliſt la teſte de faſcheuſes & douloreuſes vapeurs. Et comme en pluſieurs plantes ſont deux ſexes: masle, & femelle: ce que voyons es Lauriers, Palmes, Cheſnes, Heouſes, Aſphodele, Mandragore, Fougere, Agaric, Ariftolochie, Cypres, Terebinthe, Pouliot, Pæone, & aultres: auſsi en ceſte herbe y a maſle, qui ne porte fleur aulcune, mais abonde en ſemence: & femelle, qui foiſonne en petites fleurs, blanchaſtres, inutiles: & ne porte ſemence qui vaille: & comme eſt des aultres ſemblables, ha la feuille plus large, moins dure que le maſle, & ne croiſt en pareille haulteur. On ſeme ceftuy Pantagruelion à la nouuelle venue des Hyrondelles, on le tire de terre lors que les Cigalles commencent s’enrouer.